Mercredi 16 août 2023

Un debat sur les fondements s impose


D une part, les nombreux memoires deposes a la commission parlementaire proposent de revoir plusieurs orientations du projet. D autre part, l Alberta, dont l experience de centralisation a inspire la conception de ce projet, a recemment pris la decision de faire volte face.

Plus specifiquement, trois sources d inquietudes ou ecueils majeurs militent pour une revision du PL 15 :


l efficacite ne fait reference qu a la dimension de la production de services et a la performance manageriale ;
la centralisation est excessive ;
le recours au prive ouvre la porte a un delestage de responsabilites publiques.
A propos de l efficacite
L efficacite, objet premier du projet de loi, n est pas concue dans ce dernier en reference a une definition reconnue de la sante, a ses finalites, a ses determinants. Le projet ne precise pas, non plus, quels sont ses fondements, comme c etait le cas dans les articles 1 et 2 de la Loi sur les services de sante et les services sociaux qu on s apprete a remplacer (art. 1178).

Or, le systeme de sante et de services sociaux, compte tenu de sa nature, doit etre aborde comme un systeme complexe et non pas comme une simple entreprise privee, car pour etre efficace, il doit aller bien au-dele de la gestion de la production de services uniformises telle qu illustree par l organigramme propose dans le PL 15.

La distinction entre l efficacite qui porte sur la production de services et celle qui fait reference a une definition reconnue de la sante n est pas theorique. C est une chose de mesurer la performance par le nombre d interventions chirurgicales realisees, le temps d attente pour obtenir un service, la duree des sejours hospitaliers, le nombre de lits ou de medecins par habitant, etc. C en est une autre de mesurer l esperance de vie en bonne sante, le nombre de deces evitables, la prevention de problemes comme l obesite, l integration sociale des personnes souffrant de problemes de sante mentale, les inegalites d acces, etc. Il faut pouvoir y associer des indicateurs qualitatifs et quantitatifs tenant compte des composantes humaines et contextuelles des services disponibles.

Les amendements apportes jusqu ici au PL 15 demontrent combien le texte initial manque de vision quant a la raison d etre d un systeme public de sante et de services sociaux, et ils ne remedient ni a la pauvrete de son objectif d efficacite ni a l absence de fondements, pourtant essentiels pour le travail des acteurs du systeme de sante. Par exemple, a l article 1, on a ajoute le concept d approche populationnelle sans le definir.

La question se pose : saura t on etre consequent tout au long de l etude des 1180 articles alors que c est une tout autre vision qui a preside a sa redaction 

L ampleur de cette reforme commanderait de prendre appui sur une demarche collective pour determiner le degre d adhesion a conserver quant aux fondements et aux orientations qui ont servi a eriger le systeme de sante et de services sociaux et d ensuite les traduire dans son organisation.

A propos de la decentralisation : le projet
A partir de la recente decision de l Alberta de revenir en arriere sur 15 ans de centralisation de l ensemble de son systeme de sante afin notamment d ameliorer les soins de premiere ligne, on peut deja predire les effets negatifs de l eventuelle creation de l Agence Sante Quebec, employeur unique, concue selon un modele d affaires d une multinationale plutot qu un modele de gestion d un systeme de sante et de services sociaux complexe.

Comment une si grosse machine pourrait elle trouver l equilibre parmi l amalgame d etablissements, de fonctions, de vocations, d acteurs, de services, de programmes et de clienteles  Sur quels criteres etablir les priorites en evitant la preponderance d interets corporatifs  Comment prevenir la standardisation des pratiques et laisser place a l innovation 

Deja que des composantes importantes de l organisation actuelle sont en serieux deficit d imputabilite envers la population, une population qui a tres peu d occasions de faire entendre son point de vue. On a prevu des conseils d etablissement, mais ce sont la des lieux purement consultatifs, sans pouvoirs reels, dans des territoires decrits par le projet de loi comme regionaux et non locaux.

Nommer un gestionnaire responsable dans chaque etablissement ou installation n est pas de la decentralisation, c est le gros bon sens. Et, de ne le rendre responsable que devant sa structure hierarchique, c est purement technocratique. On doit faire mieux et redonner au concept de proximite, souvent evoque par le ministre, son caractere social et communautaire, son espace geographique local ainsi que le type de services auxquels il est necessairement associe : les services de proximite et de premiere ligne.