Jeudi 13 novembre 2025

Les trois pierres d achoppement des negos


Dans sa sortie de jeudi, Lucien Bouchard a affirmé que le syndicat des médecins spécialistes (qu’il représente) et le gouvernement sont venus bien près de s’entendre, notamment sur la nature des primes à la performance, mesure incitative plutôt que punitive. Il impute l’échec au ministre Christian Dubé, qui aurait « bloqué le dossier⁠1 ».

Ce que Lucien Bouchard omet de dire, c’est que jamais les deux camps n’ont été vraiment près d’une entente sur l’aspect financier, pourtant fondamental, selon ce que me disent deux sources proches des négociations au ministère de la Santé et au Conseil du trésor, propos confirmés par la directrice des comunications du ministre Christian Dubé, Catherine Barbeau.

« Le nœud, c’est le monétaire. On était loin d’une entente sur le monétaire », me dit Mme Barbeau.

L’écart entre les deux camps est abyssal.

Comme position de départ, les deux syndicats de médecins (spécialistes et omnipraticiens) réclamaient une hausse de rémunération de 17,4 % sur cinq ans (entre 2023 et 2028), comme celle des infirmières et des enseignants, me confirment les deux organisations⁠2.

De son côté, le gouvernement du Québec exigeait le gel de la rémunération, compte tenu du déficit budgétaire et de la paye avantageuse de nos médecins par rapport à ceux des autres provinces. Si certains médecins méritent plus, il faudra qu’ils soient dédommagés par une redistribution des sommes entre eux.

Le gel ne signifie pas que l’enveloppe globale stagne, paradoxalement. Le gouvernement doit tout de même l’augmenter de 1,5 % à 1,7 % pour tenir compte de la croissance et du vieillissement de la population.

Le 25 octobre, la loi 2 a finalement consenti une maigre hausse de 2,5 % aux médecins en 2026, mais cette hausse est conditionnelle à l’atteinte d’objectifs de performance.

Ce n’est pas tout : en vertu de la loi 2, seule une partie de la rémunération (85 %) que touchent actuellement les médecins est garantie. Le reste dépend de l’atteinte de certaines cibles de performance. C’est ce que Lucien Bouchard appelle des « sanctions punitives ».

Bref, sans l’atteinte des cibles, la paye des médecins pourrait baisser par rapport à la situation actuelle et au mieux, augmenter de 2,5 %, selon ce que Québec a inscrit dans sa loi.

Costaud, quand même…

L’écart est donc abyssal entre les deux camps, comme je le disais.

À la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), on affirme n’avoir pu discuter de l’aspect financier, puisque la première offre de Québec – 0,5 % par année – était accompagnée du maintien des « sanctions punitives », jugé inacceptable.

La grande difficulté des négos actuelles, donc, c’est que le gouvernement veut à la fois geler l’enveloppe des médecins et transformer leur rémunération pour la lier à des cibles.

Ces deux objectifs combinés l’obligent à réduire la paye garantie des médecins, ce qui est profondément démotivant pour des personnes qui sont largement dévouées à leur travail.

Le renforcement positif donne souvent de bien meilleurs résultats, comme des primes incitatives. Québec fait toutefois valoir que le concept des primes incitatives est au cœur du système actuel et qu’il n’a pas donné les résultats escomptés, loin de là.

Des exemples de primes qui ont été offertes ? Prime pour travailler le soir, prime pour prendre en charge plus de patients, prime pour arriver à l’heure, prime pour assister à certaines réunions, etc.

Il n est pas soutenable de gonfler encore l enveloppe des primes. Il faut donc les integrer a l enveloppe existante, me dit Catherine Barbeau, directrice des communications du cabinet de Christian Dube.

 L operation de transformation de la remuneration serait plus acceptable si une certaine hausse etait sur la table, disons 6 pourcent sur cinq ans. On pourrait ainsi accorder cette hausse a la seule condition que des cibles soient atteintes, ce qui n aurait pas d effet punitif de reduction de la remuneration.

Evidemment, une discussion devrait avoir lieu sur la faisabilite de l atteinte des cibles, mais l’irritant punitif serait evacue.

A ce sujet, Quebec affirme que plusieurs cibles sont facilement atteignables, tandis que des medecins les trouvent souvent irrealistes.

Justement, la troisieme pierre d achoppement entre les deux camps, outre la question financiere et l aspect punitif, porte sur qui aura le pouvoir de decider des cibles. Quebec veut se garder le droit de gerance, c est a dire pouvoir trancher sur la hauteur des cibles, apres consultation, donc sans avoir l’accord des syndicats de medecins, ce que ces derniers refusent.


En attendant, les deux camps montrent peu de signes de rapprochement. Certes, le ministre Dube a accepte de maintenir le supplement accorde aux medecins specialistes lors d une premiere consultation, dont l’abolition etait un non-sens. Changement semblable pour la prime de 30 pourcent accordee aux medecins de groupes de medecine de famille (GMF) pour payer leurs frais d’administration.

Mais c’est trop peu. Pour retourner a la table, les syndicats de medecins reclament la suspension de la loi 2 et le retrait des indicateurs de performance bases sur le volume, notamment, rien de moins.

Les deux parties restent bien campees sur leurs positions, et c’est dommage. Certains commencent a s’inquieter des effets a long terme de ces negociations, les plus difficiles depuis longtemps.