Cher patient, je m en vais au priveâ¦
Alors que l exode des medecins du reseau public s accelere, les Quebecois sont de plus en plus nombreux a recevoir ce genre de lettre les invitant a suivre leur medecin de famille au prive.
Mais a quel prix !
Gaetan Faubert a trouve ca pas mal raide quand il a appris qu il devrait s abonner a un forfait annuel de 4300 dollard prevoyant 10 visites pour rester avec le medecin de famille qui le suit depuis une quinzaine d annees.
C est prohibitif pour l homme de 82 ans qui ne consulte son medecin qu une fois par annee. Sinon, la clinique lui propose de payer 1345Â pour un bilan annuel, dont une batterie de tests et un suivi pour les resultats.
Cette facture reste faramineuse, quand on sait qu une visite dans un cabinet medical dans le reseau public rapporte generalement 50Â a 130Â au medecin de famille, selon la complexite du cas.
Mais les patients sont coinces : 650 000 Quebecois poireautent sur la liste d attente pour un medecin de famille. C est sans compter les 833 000 autres qui attendent une consultation avec un specialiste, dont plus de la moitie sont hors delai.
Ce manque d acces pousse les patients vers le prive, ou les medecins peuvent se constituer une pratique lucrative, a l abri des contraintes du gouvernement. Sauf qu en migrant au prive, ces medecins saignent encore plus le reseau public, ce qui alimente un cercle vicieux.
Plus il y a de medecins au prive, plus la liste d attente s etire au public. On le voit bien en dermatologie, la specialite qui compte le plus de medecins prives⦠mais aussi celle ou la liste d attente au public est parmi les plus longues (97 000 personnes).
Dans l ensemble, 774 medecins travaillent desormais au prive, selon des chiffres fournis par la Regie de l assurance maladie du Quebec (RAMQ). C est presque trois fois plus qu il y a dix ans.
Le phenomene est particulierement frappant chez les omnipraticiens, dont 514 sont non participants a la RAMQ. Cela represente 5 pourcent de l ensemble des medecins de famille. Ce n est plus une histoire marginale sur laquelle on peut fermer les yeux.
Plus preoccupant encore les jeunes medecins sont les plus nombreux, et de loin, a se soustraire de la RAMQ. Parmi ceux qui ont moins de cinq ans de pratique, 162 pratiquent au prive. C est six fois plus qu il y a dix ans.
Certains diplomes passent directement a la pratique privee, sans jamais travailler dans le systeme public. Les contribuables sont les dindons de la farce, eux qui financent leurs couteuses etudes au moyen de leurs impots les plus eleves en Amerique du Nord sans avoir droit au service.
Le contrat social est rompu. Il est temps d avoir une serieuse reflexion sur la medecine a deux vitesses.
D une part, il faut reconnaitre que la fuite des medecins vers le prive est le symptome du mal qui ronge le reseau public et qui decourage les medecins d y travailler.
Par exemple, les jeunes medecins se plaignent des contraintes imposees par les plans regionaux d effectifs medicaux (PREM) qui les forcent a accepter un poste dans une region qui ne leur convient pas. Y aurait il des manieres plus douces d assurer une repartition equitable des services a travers la province Une solution pourrait etre de selectionner davantage d etudiants originaires de regions et de les encourager a y retourner, notamment avec des stages tout au long de leurs etudes.
Mais d autre part, Quebec pourrait aussi mettre un couvercle sur la marmite de la medecine privee qui reste tres limitee dans les autres provinces. En Colombie Britannique, par exemple, les medecins prives ne peuvent pas exiger des tarifs plus eleves que ceux du public dans plusieurs établissements.
Plus Quebec attend pour freiner la medecine a deux vitesses, plus ce sera complique de remettre le dentifrice dans le tube.
Le ministre de la Sante Christian Dube en sait quelque chose. Il s est engage a sevrer le Quebec des agences de placement prive qui ont saigne le reseau public de ses infirmieres. Mais cet ete, l equipe volante qu il devait envoyer sur la Cote Nord, pour prendre le relais des agences, a tarde a prendre son envol.
Serrer la vis aux medecins prives ne sera pas facile non plus. Mais si Quebec reste les bras croises, il y a un risque qu Ottawa menace de reduire ses transferts en sante. Pour avoir droit a ces transferts, les provinces doivent offrir des services publics accessibles gratuitement a l ensemble de la population pour l integralite des soins necessaires, en vertu de la Loi canadienne sur la sante.
Il n est pas normal que les Quebecois se fassent larguer par leur medecin⦠a moins de sortir des milliers de dollars de leur portefeuille.
 La clinique exige 2200 par annee pour les patients qui sont jeunes et en sante ce qui couvre un bilan annuel avec le suivi et deux autres visites durant l annee. Le tarif grimpe 3200 pour ceux qui ont plus de 65 ans ou qui ont des maladies chroniques et a 4300 pour ceux qui ont plus de 80 ans, parce que les forfaits incluent davantage de visites.