Aide medicale a mourir et sante mentale : deux parcours, deux perspectives
Pour la deuxieme fois, le gouvernement federal a repousse d un an l inclusion des graves problemes de sante mentale aux conditions necessaires a l obtention du suicide assiste. Ottawa dit avoir besoin de plus de temps pour mettre en Åuvre cette pratique qui suscite plusieurs questions ethiques.
La plupart de ma vie, de maniere insupportable, j ai souffert d une detresse psychologique continue. Le constat est dechirant, et pourtant, Sylvie Perrier le dit lentement, avec delicatesse.
La femme de 54 ans traite de l aide medicale a mourir. Je suis au bout de la route, chuchote t elle a notre micro.
Ecoutez le segment Offrir l aide medicale a mourir a des personnes souffrant de troubles mentaux de l emission L Heure du monde.
Sylvie Perrier le dit sans detour  elle n a jamais persevere dans ses etudes, ses emplois, ses projets. La maladie mentale prenait toute la place, explique t elle. L anxiete et certains troubles de sant mentale l ont mis en retrait de sa famille. Pas des etrangers, insiste t elle  ma propre famille.
Et cette triste realite s est installee malgre l encadrement dont Sylvie Perrier a beneficie depuis son adolescence. Pendant notre entrevue, elle repetera a plusieurs reprises que les ressources en soutien psychologique du secteur public lui ont toujours ete accessibles.
Je me rappelle, lors de mon dernier suivi, je disais aux specialistes : Vous m aidez a supporter et a tolerer le quotidien. Mais j aurai toujours hate d etre morte.
Le cancer de l esprit
Aux yeux de Sylvie, il existe des souffrances psychologiques incurables, a la maniere d un cancer de l esprit, illustre t elle.
 L apaisement. C est ce que je recherche depuis le debut.Â
 Une citation de Sylvie Perrier
L aide medicale a mourir constitue un soin, d apres elle. Et lorsqu on evoque la possibilite que cette pratique soit elargie a des personnes qui souffrent de maladie mentale des l an prochain, Sylvie Perrier s arrete un instant.
La premiere chose que je dirais, c est merci, puis libération et delivrance, dit elle en appuyant sur chaque mot. La personne qui vit le quotidien, c est moi, ce ne sont pas les autres. Alors, moi Je suis au bout. Je suis usee, epuisee mentalement et physiquement.
J aurais peut etre demande l aide medicale a mourir
L aide medicale a mourir pour la maladie mentale, c est non, enonce d emblee la professeure et psychologue Georgia Vrakas.
Cette chercheuse specialisee en prevention du suicide s est prononcee publiquement a plusieurs reprises au sujet de l elargissement de l aide medicale a mourir. A ses yeux, il est impossible de qualifier une maladie mentale d incurable. La recherche n a pas de donnees probantes a ce sujet, fait elle valoir.
Cependant, Georgia Vrakas prend aussi parti en son nom personnel. Devant les legislateurs federaux ou quebecois, qui ont tous ete amenes a se prononcer sur l elargissement de l aide medicale a mourir ces dernieres annees, elle a admis etre particulierement interpellee par cette question.
Georgia Vrakas a connu des periodes de profonde depression pendant une grande partie de sa vie. Les differents traitements n y ont rien change. En mars 2021, epuisee et a bout de ressources, elle a songe au suicide.
J aurais peut etre demande l aide medicale a mourir si la pratique avait ete permise a l epoque. J aurais probablement ete admissible. Comment evaluer si une personne est suicidaire ou si elle souffre de maniere continue et incurable s interroge t elle.
Regagner l envie de vivre
Deux semaines avant les audiences publiques sur l evolution de la loi sur les soins de fin de vie au Quebec, Georgia Vrakas a recu un nouveau diagnostic. Elle a appris qu elle souffre d un trouble bipolaire de type 2, un trouble mental considere comme grave et persistant.
Devant les deputes reunis en comite special, elle est revenue sur son parcours, forte de ce nouvel espoir. Je ne voulais pas mourir, je voulais arreter de souffrir, estimait elle alors.
Deux ans plus tard, Georgia Vrakas a de nouveau traverse une periode sombre. Mais ses convictions n ont pas change.
Georgia Vrakas met la touche finale a un tableau dans son atelier.
Le bureau de la psychologue clinicienne Georgia Vrakas est aussi son atelier depuis quelques annees. La peinture m a beaucoup aidee dans mon processus de retablissement , explique t elle.
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Je l ai deja dit dans un moment ou j allais bien et je le reitere aujourd hui dans un moment qui va moins bien, formule lentement Georgia Vrakas en relevant la tete vers ses tableaux.
La peinture et l ecriture font maintenant partie de sa therapie. En ce moment, j en ai besoin, laisse t elle tomber. Mais aujourd hui, meme si la souffrance est tellement grande qu elle est presque physique, je sais qu il y a toujours de lespoir.
Le point de vue ethique
En fevrier dernier, le gouvernement federal a retarde l elargissement du régime canadien d aide medicale a mourir, qui inclurait les personnes dont les seules affections sous jacentes sont des troubles mentaux.
Cette decision a ete prise apres que de nombreux psychiatres et defenseurs de la sante mentale ont fait valoir que les garanties appropriees n etaient pas encore en vigueur.
Ce delai n etonne pas l ethicienne Emmanuelle Marceau, professeure associee a l Ecole de sante publique de l Universite de Montreal. C est un sujet delicat, a t elle rappele au micro de l emission l Heure du monde.
On doit se poser la question comme societe est ce qu on accorde autant d importance au bien etre psychologique qu au bien etre physique?
L encadrement de ce nouveau droit risque de faire l objet de debats, prevoit Mme Marceau, qui y voit une question de sante publique et de bien etre. Contrairement a l acces a l aide medicale a mourir pour des raisons de sante physique, les souffrances psychologiques sont percues comme subjectives, explique l l ethicienne.
Mais d'un autre cote, que faire avec les cas de souffrance psychologique qui sont reellement chroniques et pour lesquels aucun traitement ne permet d alleger les douleurs, avance Mme Marceau.
Quelques pays europeens, comme la Belgique et les Pays Bas, ont decriminalise la pratique de l euthanasie et du suicide assiste. Les cliniciens doivent evaluer l etat du patient demandeur et la reponse passee aux traitements et aux services de soutien afin d etablir l incurabilite et l irreversibilite de la maladie mentale.