Lundi 15 janvier 2024

Direction de la protection de la jeunesse - Des droits leses faute de personnel


Leurs droits ont ete leses, conclut le Tribunal de la jeunesse.

Ce cas, qui a fait l objet d un jugement du tribunal en septembre dernier, est une illustration concrete des consequences de la penurie de personnel et des difficultes d organisation qu elle pose pour la DPJ. Cette fois, c est le CIUSSS de l Ouest de l Ile de Montreal et la DPJ de Batshaw qui sont au centre de cette histoire.

Elle commence au printemps 2020, au moment de la separation des deux parents.

La garde partagee est alors convenue, mais elle ne se realise pas dans les faits, puisque le cadet de la famille refuse de se rendre chez son pere. La mere est anxieuse et depressive, au point qu elle est hospitalisee en psychiatrie en decembre 2021.

Parallelement aux problemes de la mere, le cadet des enfants developpe des problemes  il refuse notamment de se rendre a l ecole. Une travailleuse sociale du CLSC tente d epauler la mere, en vain.

La mere intervient frequemment lorsque c est le pere qui a la garde des enfants. Elle se presente notamment tous les matins a l ecole pour verifier si les enfants sont vetus convenablement et leur donner de la nourriture. Devant le tribunal, elle reconnait son etat depressif et affirme  composer avec un stress post traumatique cause par la violence conjugale  subie avec monsieur.

Le pere, lui, nie toute violence physique, mais admet des moments de colere ouvertement exprimee  en reaction aux comportements de son ex conjointe. Il refuse notamment que les enfants et la mere aient des appels video lorsque les enfants sont chez lui ou tout contact avec la famille maternelle.

Les deux parents reconnaissent le conflit parental, mais ils en attribuent tous deux la faute a l autre. Les enfants, eux, sont clairement affectes par ce conflit. Leur situation est signalee pour la premiere fois en avril 2021. Un autre signalement est enregistre un mois plus tard.

Les droits des enfants leses

Or, ce n est qu en janvier 2022, soit huit mois apres le signalement initial, que leur cas est evalue  la DPJ estime alors que leur securite et leur developpement sont compromis. On estime qu il y a mauvais traitement psychologique, a cause du conflit parental, et un risque serieux de negligence, a cause de l etat de la mere. Le dossier est judiciarise. Les enfants sont confies au pere et les acces de la mere sont restreints et supervises par la DPJ.

Pendant ces huit mois ou ils attendent une evaluation,  l exposition des enfants au conflit parental est intense et X, l enfant le plus jeune y reagit fortement  ne se presente pas a la prematernelle, ne se rend pas chez son pere, est anxieux, ecrit la juge Martine Nolin.

La Directrice justifie le delai par la liste d attente importante et le manque de personnel dans l equipe chargee d evaluer les signalements retenus ; elle tente egalement de temporiser l importance de ce delai en rappelant que l intervention du CLSC est en place aupres de la famille. Or, la preuve revele que le soutien du CLSC est limite en raison de l intensite de la detresse de la mere et de sa desorganisation ; la situation des enfants change peu.

Bref, estime la juge Nolin, les droits des deux enfants ont ete leses.

Les difficultes administratives auxquelles est confrontee la DPJ sont certes une realite, mais elles ne peuvent faire obstacle a une declaration de lesion de droits a l egard des enfants.

 Extrait de la décision de la juge Martine Nolin

Et l’histoire ne s arrete pas la  une fois leur cas pris en charge, une premiere intervenante est affectee au dossier des deux enfants. Entre la mi juin et la fin d aout, trois intervenants se succedent au dossier. Ils n ont pas, pour au moins deux d entre eux, la disponibilite requise, note la juge Nolin. Une intervenante finalement assignee au suivi social a rencontre virtuellement les enfants pendant 5 minutes.

En reponse, la DPJ plaide que le suivi social  s effectuait durant le transport des enfants lors des contacts avec leur mere et de leur retour aupres de leur pere, indique la juge. Douze intervenants sociaux affectes aux urgences ont effectue ces transports.

Il n est pas en preuve que ces derniers etaient sans competence, ecrit la juge, mais il est illusoire de croire qu ils avaient tous et toutes pris suffisamment connaissance du dossier, etabli un lien minimalement significatif avec les enfants afin de creer un environnement propice aux echanges et aux observations cliniques.

Delais  deraisonnables

Encore une fois, la DPJ Batshaw plaide  les ressources humaines limitees  pour expliquer le grand nombre d intervenants au dossier, une explication rejetee par la juge Nolin.

 La succession de trois intervenants sociaux peu disponibles, de douze transporteurs differents en deux mois et demi, denature completement l intervention sociale ordonnee en reponse aux besoins de protection des enfants, ecrit elle. Une telle instabilite dans la prestation de services sociaux represente une violation des droits des enfants.

Le CIUSSS de l Ouest de l Ile de Montreal a refuse de commenter le cas specifique de la famille qui fait l objet du jugement.  Notre CIUSSS fait face a la penurie de main d œuvre comme tous les etablissements du reseau de la sante et celle ci affecte notamment les delais d acces a travers la province. Plusieurs mesures sont explorees et deployees par nos equipes pour assurer la securite et la qualite des services offerts aux jeunes et a leurs familles.

L avocate des enfants, Me Sophie Papillon, se dit satisfaite du jugement. Pour elle, les delais de la DPJ pour evaluer le dossier des enfants etaient clairement deraisonnables.

 

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