De nouvelles regles prescrites aux medecins specialistes
Le projet de loi du ministre Christian Dube creant Sante Quebec et portant plus largement sur l efficacite du reseau va egalement revoir la gouvernance en profondeur.
Ces changements surviennent au moment ou un rapport percutant du College des medecins, que La Presse a obtenu, conclut que la population n a pas le meme acces aux soins dans un rayon geographique acceptable. On peine a offrir dans les hopitaux d un meme territoire un acces uniforme aux services.
 Les listes d attente pour des chirurgies ou des soins specialises sont asymetriques d une region a l autre et illustrent l absence d une gestion interregionale adequate , peut-on lire dans ce document de l ordre professionnel. Le College brise meme un tabou en concluant que la question du maintien de certains etablissements devient probematique et revet un caractère politique.
De la parole aux actes
En entrevue avec La Presse au debut du mois, le premier ministre François Legault lancait un avertissement il faut que l organisation du travail des specialistes soit plus efficace. Les specialistes decident pas mal eux mêmes comment s organise leur travail, alors que la direction generale n a pas beaucoup, parfois, de mot a dire. Cette situation devra changer, expliquait-il en substance.
Quebec passera de la parole aux actes. Il a l intention d exiger des medecins specialistes d assumer une responsabilite populationnelle afin de mieux prendre en charge les patients. Par responsabilite, on entend de nouvelles obligations de trois ordres : repondre plus efficacement aux demandes de consultation faites par les medecins de famille, assurer des gardes a l hopital et accepter le partage des horaires defavorables (après 16 h, par exemple).
Le gouvernement Legault cherche ainsi a reduire l attente pour les patients, augmenter la disponibilite des specialistes pour traiter les cas aux urgences et eviter les ruptures de services.
à Quebec, on souligne que les medecins de famille sont soumis a des obligations de prise en charge des patients alors que les specialistes ne le sont pas. Ces derniers doivent desormais l etre, dans le but d améliorer lacces aux soins, explique t on.
Quebec deplore que des specialistes pratiquent beaucoup a l externe et offrent peu de disponibilite a l hopital. La situation varie toutefois d une specialite medicale a l autre. On considere que la majorite des specialistes font ce que l on attend d eux, mais qu environ 20 pourcent d entre eux créent 80 pourcent des problemes dans le reseau.
Le gouvernement dit vouloir travailler en collaboration avec les specialistes, mais il parait evident que les nouvelles regles feront des mecontents. Francois Legault reconnaissait d ailleurs en entrevue avec La Presse que c est delicat, negocier avec la FMSQ , la Federation des medecins specialistes du Quebec. Il faut en prendre et en laisser, etre capable de trouver un equilibre. C est ce que Christian Dube essaie de faire avec la FMSQ , ajoutait il, donnant l impression de marcher sur des Åufs.
Un directeur medical responsable
La gouvernance sera revue pour s assurer de la mise en Åuvre des nouvelles obligations. Dans chaque CISSS et CIUSSS, Quebec nommera un directeur medical en lieu et place du directeur des services professionnels qui, selon Quebec, n a pas assez de pouvoir decisionnel. Il relevera du PDG qui, lui meme, sera sous les ordres de Sante Quebec la nouvelle agence chargee de coordonner les operations du reseau pendant que le Ministere se concentrera desormais sur les orientations. Ce directeur medical sera epaule par un directeur adjoint pour la medecine familiale et par un directeur pour la medecine specialisee.
Le directeur medical aura la responsabilite de repartir les specialistes sur le territoire en fonction des besoins. Il pourrait decider, par exemple, que l absence de medecins d une certaine specialite dans un hopital est inacceptable parce que trop de patients se font rediriger vers une clinique externe et subissent un long delai d attente. Il exigerait alors que la pratique de ces medecins se fasse davantage à l hopital.
Changement majeur c est ce directeur qui accordera les privileges a chaque medecin en quelque sorte le permis permettant a ce travailleur autonome de pratiquer a l hopital. Les nouvelles obligations seront inscrites dans les privileges. Le directeur medical veillera a leur respect. Il sera responsable des resultats des medecins.
Par ailleurs, un nouveau conseil interdisciplinaire des trajectoires reunira des representants de tous les professionnels, y compris les infirmieres. Le gouvernement veut placer tout le monde sur un pied d egalite pour mieux organiser les services dans les hopitaux. Le role des Conseils des medecins, dentistes et pharmaciens sera quant a lui circonscrit a l evaluation de la qualite des soins.
Quebec estime qu à l heure actuelle, la gestion se fait trop en vase clos et que les roles des differents acteurs sont flous. Cette situation nuit a la prise de decisions. Un changement de culture s impose, selon lui.
Un rapport percutant
Quebec apporte ces changements au moment ou le College des medecins vient de produire un rapport percutant sur l acces aux soins. Ce rapport temoigne des constats faits par son president, le Dr Mauril Gaudreault, lors d une vaste tournee dans des centres hospitaliers au cours des derniers mois â une premiere de la part de l ordre professionnel.
Non seulement l acces aux services est difficile au Quebec, mais encore c est plus dramatique dans certaines regions ou des soins de sante ne sont carrement pas disponibles , conclut le College.
 Les gestionnaires sont confrontes a des situations tendues en lien avec la rarete des ressources, ce qui mene parfois a une concurrence entre regions ou etablissements. Nous avons note que la repartition des Plans d effectifs medicaux (PEM) ou des Plans regionaux d effectifs medicaux (PREM), un modele unique au Canada, entraine des iniquites flagrantes entre les regions. L objectif des PEM est pourtant, en principe, de repartir equitablement les medecins specialistes entre les etablissements en fonction de besoins prioritaires et de favoriser l acces de la population aux services medicaux specialises.
Or, selon le rapport, des exemples recents de la repartition des effectifs sur le territoire demontrent que ce n est pas que la logique mathematique qui prevaut. En outre, les criteres territoriaux ne prennent pas toujours en compte l evolution de la demographie, de sorte que dans certaines regions, il existe clairement un deséquilibre quant au ratio de medecins par tranche de 100 000 habitants .
Le College des medecins ajoute qu a mots couverts ou parfois tres ouvertement, l inertie et le manque de coherence du reseau de la sante et des services sociaux ont ete abordes durant la tournee. L immobilisme et le manque d ecoute de decideurs de la fonction publique rappellent au quotidien le role subalterne des gestionnaires d etablissements, auxquels on demande pourtant des miracles avec des moyens qui rapetissent comme peau de chagrin. Au sens figure, la laisse administrative est trop souvent un étrangleur.
L ordre professionnel raconte que des administrateurs souhaitent ouvertement la fermeture de certains lieux de soins sur leur territoire parce qu il est impossible d y maintenir les effectifs necessaires pour eviter une rupture de soins. Couteux, inefficace, sous utilise sont des termes qui reviennent a propos du reseau. On souhaite ainsi, malgre les enjeux de la distance, maintenir par exemple quatre etablissements sur six ouverts, dans lesquels tout le personnel requis est maintenu avec une offre complete. Les gestionnaires estiment que le reseau et les decideurs politiques manquent de courage pour fermer des etablissements au profit de la concentration d une offre de services adequate dans chaque region. Cette politisation des equipements regionaux est en fin de compte une entrave a l acces du public aux soins.
Selon le College, cette inertie pour un enjeu connu et analysé depuis des decennies engendre des depenses inutiles et une utilisation inefficace du capital humain. Alors qu on voit le reseau craquer de toutes parts, le moment serait bien choisi pour poser des gestes courageux et mettre de l avant des mesures qui assureraient un veritable acces du public aux soins de sante dans leur region immediate.
Il ajoute que les medecins aux urgences sont en detresse. Il releve des problemes d effectifs pour assurer la garde, mais aussi des lacunes dans la prise en charge des patients. Le personnel medical nous a illustre les contraintes liees au fait d examiner des personnes sur civiere, en plein corridor, ou a pu constater la deterioration a vue d Åil de patients en perte d autonomie qui s y retrouvent en attendant une prise en charge appropriee.Â
Le rapport du Collège des médecins surâ¦
L iniquite régionale
Des regions ne peuvent compter sur des effectifs dans les specialies de base et des corridors de reference doivent etre negocies pour maintenir les services essentiels. Ce sont malheureusement les citoyens de ces regions qui en font les frais alors qu ils sont contraints a parcourir des distances importantes pour beneficier de services qui sont offerts plus largement ailleurs. Un membre de CMDP [Conseil des medecins, dentistes et pharmaciens] en region nous a relate qu un patient, qui se voyait confronte a une journee de deplacement de plus de 8 heures en autobus pour subir une delicate intervention dans un grand centre, loin des siens, avait prefere perdre l usage d un Åil plutot que de vivre encore une fois une telle epreuve.Â
Les urgences
 Dans tous les etablissements visites, les medecins des urgences expriment leur crainte constante de l erreur dans ce qui est devenu pour eux un champ de bataille. Fragilises par l epuisement, ils ne voient pas de lumiere au bout du tunnel. Leurs collegues tombent au combat alors qu on peine a en attirer d autres pour les remplacer. Plusieurs medecins nous ont confie etre hantes par la crainte de la decouverte d un patient decede en salle d urgence pendant leur quart de travail. Les penuries viennent accroitre les responsabilites en termes de gardes les ratios mensuels sont fausses si on les compare avec ceux d un grand centre au sein duquel la repartition se fait parmi des dizaines de collegues. En region, le nombre de collegues se compte parfois sur les doigts d une seule main. Les tours de garde reviennent forcement plus vite. L epuisement se met de la partie.Â
La priorisation des operations
 Dans la majorite des regions, les medecins rencontres durant la tournee nous ont confie que les chirurgies electives rapides, qui mobilisent peu de personnel, sont de courte duree et ne necessitent pas de sejour a l unite des soins intensifs, sont favorisees. Cela se fait au detriment de celles plus lourdes, et parfois plus urgentes, qui monopolisent plus d effectifs et requierent plus de temps. La rarete des plateaux techniques dans certaines regions en deficit de personnel incite les chirurgiens a rechercher des etablissements qui leur permettent de realiser des interventions chirurgicales. Dans une specialite en particulier, des medecins se resolvent a ne pas voir de patients en consultation des lors quâ™ils savent qu ils ne pourront pas les operer par la suite. En fin de compte, le patient est penalise.Â
Le prive
 Si l intention gouvernementale est de rendre le prive complementaire au reseau public, en fait de perception a tout le moins, c est loin d etre le cas. Souvent percu comme un ennemi, le prive est minimalement un trouble fete qui siphonne les meilleures ressources du eseau public et l ecreme. Les centres medicaux specialises (CMS), par exemple, soulagent le reseau prive d un type de cas et permettent un traitement rapide et mesure, mais le personnel requis provient du reseau public, qui a son tour en est prive pour proceder au traitement des cas plus lourds dans des delais raisonnables, ce qui vient gonfler les listes d attente. Le fait que des CMS puissent amenager de nouveaux plateaux techniques pendant que ceux des hopitaux sont fermes, faute de personnel, demeure une aberration au sens des gestionnaires et des medecins rencontres.Â